Euphemia, c’est avant tout de la colère. Colère d’une enfance bâclée, trop chargée en émotions et pas assez identique à celle que l’on voit dans les romans, colère d’un sort qui s’acharne injustement sur elle. Oui, Effie aurait aimé grandir dans un cadre parfait, avec une famille idéale qui l’aime et un avenir radieux, déjà tout tracé. Mais ses plans furent balayés lorsque sa mère mourut et plus tard, lorsqu’elle fut brimée à l’école. Habituée à n’être privée de rien, vivre avec son père et son frère lui remit brusquement les pieds sur terre. Depuis, elle ne se fait plus d’illusion : la vie n’est pas un long fleuve tranquille et ne l’a certainement pas épargnée. Après une enfance mouvementée, cette crainte s’est confirmée lorsque le sort a décidé de s’acharner de nouveau sur elle, à intervalles irréguliers et surtout récemment, lorsque sa maladie a été découverte. Défaitiste, c’est ainsi qu’on pourrait la qualifier. Elle ne croit pas au prince charmant et aux histoires qui finissent bien. Elle se rend compte qu’elle a de la chance, qu’elle a grandi dans un environnement stable et aisé mais sait que cela pourrait changer du jour au lendemain. Elle peut par conséquent se montrer agressive assez rapidement, ce que les médecins mettent sur le compte de la maladie mais cela dure depuis sa plus tendre enfance puisqu’elle était considérée comme une véritable teigne par ses profs d’école maternelle. Sa colère s’est peu à peu transformée en amertume, qu’elle entreprend de canaliser par des coups bas et autres remarques venimeuses bien placées. Détestée par beaucoup, adorée par d’autres, Effie maintient sa réputation grâce à la manipulation, domaine dans lequel elle excelle et dont elle n’hésite pas à se servir. Malgré cela, elle n’est ce genre de reine de beauté qui dominait le monde au lycée. Effie, c’est la sale gosse qui collait des chewing gum dans vos cheveux, qui mettait des punaises sur les chaises des profs et qui se roulait dans la boue juste pour faire rager ses parents. Ses véritables amis se comptent sur les doigts d’une main, considérant que le reste l’aide à parvenir à ses fins. Cancre de l’école primaire au lycée, elle a enfin trouvé sa voie dans le domaine de la communication. Ce n’est donc que depuis qu’elle a mis un pied à l’université qu’elle travaille d’arrache-pied. Mais le destin s’est une fois de plus mis en travers de sa route en se manifestant cette fois sous forme de maladie. Ce n’est que de justesse qu’elle a réussi ses partiels de première année et peine désormais à garder ses résultats convenables, étant parfaitement incapable de travailler comme elle le souhaiterait. Malgré la masse de travail que représente désormais l’université à cause de son handicap, Euphemia a réussi à caser un boulot au Rockhampton Bowls Club dans son emploi du temps de ministre, déjà chargé par ses révisions et les rendez-vous chez le médecin. Car derrière ses airs de peste je-m’en-foutiste se cache quelqu’un qui se soucie véritablement de sa famille. Prendre du travail en plus n’était pas une lubie de sa part mais bel et bien un moyen d’alléger les frais que son père débourse pour ses frais médicaux. Jusque-là, cet arrangement fonctionne, même si la vie dont elle rêve est encore à des années lumières. Et restera certainement à jamais inaccessible, vu la détérioration de son état de santé mentale. C’est l’année de ses dix-huit ans qu’Euphemia a été diagnostiquée comme ayant une forme précoce de la maladie d’Huntington, après avoir été suspectée de schizophrénie. S’attaquant à ses facultés motrices et cognitives, cette maladie orpheline se traduit chez la jeune femme par des troubles de la mémoire, lui faisant oublier des détails plus ou moins significatifs, une agressivité et irritabilité soutenues, ce qui n’arrange pas son caractère de cochon, un état d’esprit dépressif qui lui n’arrange pas son côté défaitiste, une difficulté importante à accomplir des tâches multiples, à garder son équilibre et à restreindre des gestes involontaires et enfin, des crises d’épilepsie plus ou moins intenses. C’est par ces dernières que sa maladie a été confirmée – théorie tout de même confirmée par une prise de sang et une série d’autres tests – et c’est à partir de ce moment qu’il a fallu commencer un traitement. Son père a immédiatement voulu lui donner le meilleur suivi possible et grâce à ses relations, a entendu parler de la clinique Waters. Cela lui a semblé être l’endroit idéal pour la soigner, puisqu’il l’a envoyée sans difficulté à l’autre bout du pays, avec son frère comme seule compagnie. Elle est en mesure de vivre chez elle avec celui-ci mais a des rendez-vous médicaux avec différents psychiatres, neurologues, kinésithérapeutes et même orthophonistes, puisque sa maladie se traduit aussi parfois par des difficultés à s’exprimer, doublés d’un lourd traitement médical qui la force à prendre une flopée de pilules chaque jour. Mais cela n’est que le côté médical des choses. La seule solution qu’Effie a trouvé pour combler ses trous de mémoire est d’écrire dans des cahiers ce qu’elle fait, quasiment en permanence, bien que la plupart du temps elle griffonne d’autres choses n’ayant aucun rapport, des dessins disgracieux gribouillés à l’encre noir pour la plupart. Le fait que ses initiales peuvent former le mot enfer aussi bien qu’à l’aide et qu’elle les trace à longueur de journée n’aide en rien son état d’esprit. Persuadée qu’elle va mourir de toute manière, la brune n’a pas lâché sa consommation de cigarettes et l’a même doublé, ignorant les mises en gardes de ses médecins qui tentent de la convaincre que le tabac aggrave son épilepsie. Mais elle s’en contre fout et coince un bâton de nicotine entre ses lèvres dès que l’occasion lui en est donné, persuadée que sa santé ne pourrait de toute façon pas être pire qu’elle ne l’est déjà.