ROCKHAMPTON – B02, 32, Victoria parade. Quatre mois plus tôt.

« Colleen, il faut qu’on parle … » N’importe quelle fille normalement constituée sait parfaitement  ce que ces petits mots veulent dire. C’était fini, je le savais avant même qu’il le dise. « Épargne ta salive ! » Je fis un geste de la main pour le stopper net dans son élan des explications larmoyantes. « Après tout ce que j’ai fait pour toi … » J’avais tout quitté pour lui, lui dont dire son prénom m’écorchait la gorge, ma famille, mes amis, mes rêves entre autre. « Calme-toi, laisse-moi … » Me calmer ? Cette blague ! « Non ! J’veux pas t’entendre, je m’en fous ! J’te déteste ! » Je me précipitais vers la chambre à coucher et claquais la porte. Retenant un flot de larmes en fourrant mes fringues dans ma valise, je me demandais quand même pourquoi, POURQUOI ? mais je ne voulais pas me l’entendre dire, je ne l’avais même pas vu venir. Je ruminais et pestais en fermant la fermeture éclair de ma valise. Je traversais le salon trainant mes kilos d’affaires tant bien que mal, tête haute je ne lui adressais pas un regard, ni même avant de refermer la porte d’entrée sur moi. Je ne voulais rien laisser derrière moi, pas même mon égo, la seule chose que je lui laissais –à part ses regrets qui j’espère viendront bien vite- trônait sur mon ex-table de chevet : ma bague et ses beaux souvenirs.

SYDNEY – Lady Bay Beach. Neuf mois plus tôt.

C’était un lundi soir le soleil se couchait sur la baie de Sydney et nous, nous étions là sur cette plage déserte, main dans la main, marchant pieds nus dans le sable. « Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu avais fait ce week-end » le charriais-je un sourire aux lèvres. J’étais pas du genre à espionner les moindre faits et gestes de mon mec, j’aimais juste l’embêter, il le savait très bien. « J’étais chez toi. » Je ris. « Crois-moi, j’ai passé tout le week-end enfermée dans l’appartement à plancher sur cette saleté de dissertation que Winton nous a collé et bizarrement … je ne t’ai pas vu là-bas. » Il déposa un baiser sur mon front. « Je ne t’ai pas précisé quel chez toi … » je stoppai net, je crois que je venais de comprendre, je crois. Son petit sourire en coin ne faisait que confirmer mes soupçons. « Et puisque j’ai l’accord de ton père … » Oh. Mon. Dieu. Il n’est pas sérieux là ? Ma conscience courrait comme une tarée dans tous les recoins de ma caboche. Il posa un genou au sol et sortit une petite boite rouge de sa poche, il l’ouvrit j’étais sans voix. Littéralement sans voix. « Colleen Mariah Gilman, veux-tu m’épouser ? » Des larmes de joie coulaient déjà sur mes joues, hochant la tête de haut en bas doucement, j’étais toujours incapable d’émettre le moindre son. Le moment de mutisme le plus heureux que l’humanité ait connu.

SYDNEY – Quelque part dans la baie. Trois ans plus tôt.

« Alors qu’est-ce que tu en dis ? Je te l’avais dit que tu ne serai pas déçue ! » Lançais-je tout guillerette à ma voisine. Le vent en poupe, ses longs cheveux blonds lui fouettaient le visage, ça m’avait toujours fait rire. « J’te le dirai si je survis ! » C’est vrai qu’elle n’avait jamais été aventurière dans l’âme. Je lui mis un petit coup de coude dans les côtes « Rho dit pas de conneries Quinn et honnêtement tu ne crois pas qu’ils préfèreraient bouffer un type du gabarit comme celui-là là-bas plutôt que toi ? T’es mince comme un haricot sec ! » Quinn est ma sœur, mon ainée, surement la personne que j’aime le plus au monde. J’aimerai me payer sa tête, je connaissais sa peur panique des requins … et pas de chance pour elle, aujourd’hui c’était plongée sous-marine au programme. Elle émit un petit grognement en regardant le type en question « Ca s’rait bête n’empêche, il est plutôt mignon » J’haussais les épaules, j’étais pas là pour me faire des petits copains, cela faisait des années que je rêvais d’explorer les fonds marins des environs de Sydney. « En plus, on dirait bien qu’il te bouffe des yeux » me chuchota-t-elle à l’oreille. « T'as bu avant d'embarquer ou quoi ? » Je ris, je n’étais même pas présentable dans ma combinaison moulante mais laide à souhait, les cheveux en bataille –merci les virées en bateaux- et sans rien pour cacher mes cernes.  Et quels cernes ! Quinn m’avait accompagné à Sydney pour m’aider à emménager dans mon petit appartement non loin de l’université. Nous faisons un break aujourd’hui pour le plus grand plaisir de nos membres endoloris. J’avais tout de même un petit pincement au cœur, cette journée était comme un nouveau départ : je partais à la découverte de mon nouvel environnement. Certes, c’est étrange de réduire son environnement aux fonds marins mais depuis toute gamine la mer me fascine. Si je suis venue à Sydney c’est pour poursuivre mes études dans le domaine de la biologie sous-marine, l’université de ma petite ville de Tasmanie ne proposait pas un tel programme … le déménagement avait été inévitable.

Une heure plus tard.
Heureuse comme un poisson dans l’eau –et c’est le cas de le dire- je remontais sur le bateau et me débarrassais de mes bouteilles d’oxygène.  Je cherchais Quinn du regard, la pauvre était remontée au bout d’un quart d’heure à peine comme si elle avait la mort aux trousses. Une voix grave vint troubler ma quête. « Vous n’en n’êtes pas à votre premier coup d’essai hein ? Vous vous débrouillez bien là dessous ! » Un sourire s’étala sur mes lèvres, me retournant je me retrouvais face à face avec le fameux type de tout à l’heure. « Un connaisseur ? Bien, seulement bien ? Comme un chef vous voulez dire. Je fais de la plongée depuis toujours. » « Comme si elle était née avec des palmes et un tuba. » Damn, Quinn et ses anecdotes douteuses, je ne l’avais pas vu se rapprocher. Elle s’éclipsa ensuite aussi vite qu’elle était venue nous laissant disserter sur les joies de la plongée sous-marine et des populations des fonds marins. J’étais fascinée, il me fascinait. Dès cet instant, je su que c’était lui. Une semaine plus tard, nous échangions notre premier baiser. Notre histoire était digne d’un conte de fée.

DEVONPORT – service pédopsychiatrique de la clinique de la ville. Sept ans plus tôt.

« J’ai 16 ans, y’a rien qui cloche chez moi, c’est juste la crise d’adolescence. Vous êtes psy, vous devriez le savoir ça non ? » Le vieux type aux cheveux poivre et sel me regardait au-dessus de ses lunettes. « J’suis juste un peu perdue, tout le monde est passé par là. J’me cherche encore c’est pas un crime. Laissez-moi sortir d’ici bordel ! J’ai rien à voir avec les autres là, j’suis pas comme eux ! » Il croisa les bras sur son bureau. « Rien qu’un peu ? Tu es sûre de ça Colleen ? » Je suivis son regard glisser sur mes poignets et ses entailles encore fraiches datant de juste avant mon admission. Je me trémoussais gênée sur ma chaise. « Toi comme moi savons très bien pourquoi tu es ici. Nous ne te laisserons pas sortir tant que tu ne seras pas à nouveau en accord avec toi-même, Colleen. Il faut que tu apprennes à vivre pour toi, non pour les autres et à travers leurs regards, tu ne peux pas les laisser influencer ton monde. Il faut bien que tu comprennes ça. » Je déglutis. « C’est plus facile à dire qu’à faire » ouais, c’était exactement ça. Cela faisait deux mois que j’étais enfermée au sein du service de pédopsychiatrique. Deux mois d’enfer mais j’étais un peu plus reposée en étant ici plutôt qu’au lycée. Ah le lycée … là où la spirale infernale avait commencé. Je venais d’y faire ma rentrée, Quinn n’était pas là, elle était partie un an en France, une opportunité énorme pour ses études, j’en étais fière mais elle me manquait atrocement. J’avais toujours été timide, je comptais mes amis sur les doigts d’une main et arrivée seule au lycée … c’était trop. Trop renfermée, trop outcast, trop dans mon coin, trop différente, trop ronde … ? Je ne saurai dire et je ne le saurai probablement jamais mais ça n’avait pas empêché un groupe de filles populaires de ma classe de me martyriser jusqu’à l’os. Détruisant toute estime et le peu de confiance que j’avais en moi-même, je me sentais mal, pas à ma place, je n’étais plus qu’une ombre, l’impression de faire plante verte dans le décor. J’avais commencé à me mutiler un soir juste pour me faire ressentir ma propre haine de moi-même, ça devint vite un cercle vicieux. Honteuse, j’avais peur d’elles, peur du lycée, peur du regard des autres parce que je ne serai jamais assez bien pour eux. J’arrêtais net d’aller au lycée, développant ce syndrome que l’on appelle phobie scolaire … « Je n’ai pas dit le contraire. C’est un travail de longue haleine. »
Il me fallut 5 mois pour apprendre à m’accepter tel quel. C’était dur certes, mais c’est une épreuve qui me forgea un caractère, une personnalité, j’étais une battante. J’étais plus forte qu’eux à présent. Ma liberté me fut donc rendue, mes études en pâtirent légèrement mais au moins, je revins au lycée avec la tête haute portant fièrement mes cicatrices de guerre.

ROCKHAMPTON – Clinique Waters. Aujourd’hui.

Un coup d’œil à gauche, un autre à droite, personne à l’horizon … je me faufilais dans la réserve de la pharmacie. Il fallait que je fasse vite mais j’avais pris l’habitude à force, ça devrait le faire. Je piochais des boites d’antidouleurs ici et là, cinq ou six ça ferait l’affaire pour la semaine, je les fourrais dans mon sac avant de le refermer soigneusement. Et hop, je ressortais de là comme si de rien n’était, sourire aux lèvres, fière de mon énième coup. Fière ? Je ne devrais pas l’être pourtant. La vérité c’est que je replonge depuis qu’il m’a quitté –et oui, je suis toujours incapable de prononcer son prénom-, il m’a détruite, tuée, brisée mon amour propre. Depuis … je suis une coquille vide. J’ai l’impression de ne plus rien ressentir. Disons juste que … j’ai besoin d’un petit plus qui me ferait me sentir vivante, pour calmer mes maux. Des médocs tout ‘frais payés’ … c’était bien trop tentant. Voilà à quoi je me résumais aujourd’hui. A un poste d’hôtesse d’accueil dans une clinique où je ferai mieux de me faire interner, seule, dans une ville qui n’est même pas la mienne là où j’ai aveuglement suivi mon ex-fiancé, sa mère étant mourante à l’époque … je ne pouvais franchement pas refuser de le suivre. J’avais abandonné mes rêves de devenir biologiste des fonds marins pour bosser afin de subvenir à nos besoins, chose qui n’avait pas vraiment plu à mes parents … eux qui avaient fait des économies d’une vie pour m’offrir une éducation universitaire à Sydney que j’avais lâchement abandonné. Dire que nous sommes légèrement brouillés serait un euphémisme. Mais heureusement que j’ai Quinn, mon épaule sur laquelle pleurer, mon bras droit, mon souffle de vie.