Sujet: Let the ocean worry about being blue (Nolan) Jeu 15 Aoû - 17:04
*Allez, encore une, histoire de finir la pellicule.* Me dis-je en tirant doucement le levier de mon vieil Olympus. La mer devant moi est aussi bleue que mon œil, qui la regarde à travers l'objectif. Mes doigts tournent doucement la bague de mise au point, tandis que je cherche du regard un élément dans le paysage pour animer un peu la photo que je m’apprête à prendre. À quelques mètres de moi, un surfeur glisse agilement entre les vagues turquoises où dansent les reflets du soleil, scintillant comme une multitude de diamants dorés. J'observe un instant sa planche aux motifs tribaux à moitié effacés et ses cheveux bruns qui retombent en mèches humides devant ses yeux. Un mince sourire vient étirer mes lèvres, et j'appuie sur le déclencheur. Un petit clic discret accompagne mon geste, tandis que je commence à me relever. Je chancelle un instant, après être resté assis aussi longtemps, je ne sens plus mes jambes. Avec un soupir agacé, j'époussette le sable qui s'est glissé dans mes vêtements et me mets en marche en direction de la route, non sans jeter des coups d’œil méfiants aux quelques baigneurs que je croise en chemin. Quelle heure peut-il bien être ? Je n'en ai pas la moindre idée, il y a bien longtemps que je ne porte plus de montre. Tout ce que je sais, c'est que dans quelques heures tout au plus, il fera nuit. Je souris à nouveau, tandis que je rembobine machinalement ma pellicule. Ma vieille Ford noire cabossée et poussiéreuse m'attend sur le parking de la plage. Je l'observe, une moue dubitative sur le visage. Elle fait un peu tache, garée au milieu des autres voitures qui rutilent au soleil. Mais je hausse les épaules, ça m'est égal, du moment qu'elle roule... Je m'installe au volant, pose mon appareil sur le siège d'à côté, et démarre sans tarder, laissant un nuage de poussière derrière moi. Il y a encore des embouteillages, comme d'habitude. Avec un soupir, j'allume l'autoradio d'où s'échappent alors les premières notes d'une chanson d'Alabama Shakes, et je m'enfonce un peu plus dans le siège en cuir. À cette heure-ci de la journée, c'était prévisible, tous les gens rentrent chez eux. Mais ça aussi je m'en fiche. Je me sens bien là, un bras posé sur le rebord de la fenêtre grande ouverte, le vent dans les cheveux, et la musique à fond. Alright, we gonna be alright. Près d'une demi-heure plus tard, j'arrive enfin chez moi, quittant un peu à regret le vent tiède et le soleil couchant pour retrouver la pénombre et le silence de mon appartement. Sans même prendre le temps de m'asseoir, je me dirige vers la salle de bain – la seule pièce de mon appartement qui ne possède pas de fenêtre, ce qui est bien pratique, je dois dire – et referme la porte derrière-moi. Je suis dans le noir complet et je tâtonne à la recherche de ma lampe rouge. Trébuchant sur le tapis de bain, j'émets un grognement désapprobateur, mais je finis par poser la main dessus. « Ah, voilà. » Murmuré-je en appuyant sur l'interrupteur. Elle n'éclaire pas bien, et la lumière rouge donne un air parfaitement sinistre à ma salle de bain plongée dans l'obscurité, mais c'est la seule lumière que je peux allumer sans risquer de voiler mon film. Je me penche sur les trois bassines disposées dans le lavabo. Dans la première je verse le révélateur, avant d'y tremper ma pellicule. Je l'observe un instant flotter dans le liquide transparent, puis retourne m'occuper de la deuxième bassine, dans laquelle je verse le bain d'arrêt, puis de la troisième, où se trouvera le fixateur. J'attends quelques minutes avant de changer le film de bassine, m'éclaboussant au passage. Je soupire à nouveau. Combien de fois m'a-t-on répété qu'il serait beaucoup plus simple pour moi de passer à la photo numérique ? Certainement assez pour me faire reconnaître tous les inconvénients de l'argentique, mais toujours pas assez pour m'y faire renoncer. À mes yeux, mon Olympus et ma chambre noire improvisée valent tout l'or du monde, malgré toutes les taches de révélateur qui ont pu maculer mes vêtements et toutes les photos ratées. Une fois le négatif enfin sec, il est temps de trier les photos. Je les regarde une à une à la lumière de la lampe rouge, l'air absorbé. Je finis par en sélectionner quelques unes, que je découpe et que je vais placer dans l'agrandisseur. Après avoir placé le papier photosensible et fait la mise au point, j'allume la machine. Quelques secondes suffisent, et je place le papier dans le bain révélateur. Je vois les contours de l'image apparaître peu à peu sur le papier blanc, et je souris. Celle-ci à l'air réussie.
Après plus de deux heures passées à développer mes photos, je peux enfin les coller dans un album. Il a belle allure, avec sa couverture de cuir et ses pages noires, j'en suis d'ailleurs très fier. À l'intérieur de la couverture, on peut lire À mon ami Nolan écrit au feutre blanc, dans un coin. Je le referme avec un sourire satisfait, enfile ma veste et me rue littéralement dehors. Le soleil est couché, c'est l'heure. Cela doit bien faire une semaine que je ne l'ai pas vu, j'espère qu'il ne s'ennuie pas trop... Vraiment pas pratique sa maladie, pauvre Nolan. Heureusement, je n'habite pas très loin de chez lui, j'y suis en à peine cinq minutes, en me dépêchant. Il n'y a presque personne dans la rue, juste quelques passants pressés qui rentrent chez eux. Je passe la porte de son immeuble, monte les escaliers quatre à quatre et m'arrête devant sa porte. Je toque doucement, avant de cacher dans mon dos le précieux album. J'entends des bruits de pas de l'autre côté, il arrive. La porte s'entrouvre, et j'esquisse un grand sourire. « Surprise ! »