Je suis passée par la psychiatrie, comme à chaque fois, et j'ai croisé le regard du jeune homme, comme à chaque fois. Je m'arrête, en plein milieu du chemin ( pas bien Francis, tu vas te faire tirer les oreilles. ) et j'ai regardé ma montre ; je venais à l'instant de quitter mon père et il était 18h. Avais-je le temps ? Non, mais tant pis : depuis le temps que je le croisais, je n'avais pas pris le temps de venir à lui. Alors j'allais le faire aujourd'hui : parce que ce regard torturé et cette tête si calme m'intriguait. Un sourire sur le visage, comme à chaque fois, je m'avançais vers le banc où il était assis. Et je me suis simplement assise à côté de lui. J'ai marqué un temps à regarder devant moi, puis j'ai tourné la tête vers lui, et je l'ai regardé. '' Je m'appelle Francis. Ça fait un bail qu'on se croise, et j'ai jamais pris le temps de m'arrêter. '' J'ai jamais pris le temps ou j'ai jamais eu le temps ? Je ne sais pas. Puis quelles différences hein ? Je me pinçais les lèvres, puis souris, lui tendant la main comme pour faire connaissance. D'accord, on est en psychiatrie, si ça se trouve c'est un malade, un tueur, mais je m'en fou. Pourquoi avoir peur hein ? Mon père est entouré de ces gens là tout les jours alors bon.

Mais il avait de l'humour le monsieur. Je lève les yeux un instant, tourne la tête pour regarder autour de nous : je ne prends même pas la peine de lui répondre. Puis qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? Ce n'est pas ce bout de phrase qui va me faire partir en courant et en pleurant. J'ai vécu pire. Que ma réponse lui convienne ou pas, je m'en foutais. Mon sourire se ternit un peu, jusqu'à disparaître pour une courte durée. En l'entendant, je riais ironiquement à ses paroles : j'avais au moins appris qu'il n'aimait pas parler de son passé ou même de lui. Si il ne s'ouvrait pas au psychiatre, alors je pouvais toujours aller me brosser pour savoir quelque chose. '' Ta vie ne m'intéresse pas vraiment. Enfin ton passé. Tu vois, je vais pas faire une enquête sur toi et aller balancé : j'ai tendance à croire que pour avoir le feeling avec une personne, il faut une part de mystère sur lui. '' Autrement dit, je crois que je vais bien t'aimer. Je souris en coin puis posais mes yeux un instant furtif pour voir sa tête. S'il croyait qu'il allait me faire flipper avec son discours et son ton à demi assassin, il s'était foutu le doigt dans l’œil profond. Après tout, peut être que j'étais naïve, et peut être qu'il avait tué quelqu'un, mais en attendant, je pense qu'il avait un bon fond quand même. Je retourne la tête vers les infirmiers qui nous surveillaient, et j'entendis de sa bouche qu'il s'en fichait que je le tutoie. '' C'est mieux je trouve. '' Plus simple surtout. Il avait l'air jeune alors vouvoyer un jeune ça allait être plus dur que le tutoyer. Bref, je m'éloigne de la conversation. Et là, il commence à me déballer tout un tas de trucs qui me font plus rire que pleurer. Je prenais ça avec humour parce que bon, s'il fallait pleurer ou crier à chaque fois qu'on disait un truc, on ferait beaucoup la gueule. '' L'adrénaline ? '' Et je levais les yeux au ciel en secouant la tête. '' Il va s'en sortir. Je le sais. Puis personne n'est fou ici : vous avez juste des trucs qui font que vous tournez pas rond. J'étais ici un certain moment, pendant quelques jours et pourtant, je suis sortie. Je pense bien qu'un jour les gens d'ici sortiront guéris. Mais apparemment, pas toi. '' Je crois que ce que je viens de dire n'est pas très claire. Je fronce les sourcils, regarde ailleurs, secoue la tête et retourne sur lui. '' En gros, je viens ici parce que mon père va guérir. ''