Assis sur le sofa du salon, face à ce mur vide, je réfléchis à une activité quelconque pour occuper cette longue nuit. Je vis peut-être bien avec la maladie, mais il faut bien l'avouer, en semaine les gens ne courent pas les rues à une heure du matin passé. Oh bien sûr, je peux passer la nuit seul, ce n'est pas comme si je n'y étais pas habitué. Un rejeté de la société depuis mon plus jeune âge avant même d'avoir eu le temps de dire mon premier mot pour être plus précis. Enfin, rejeté … Ce n'est pas comme si c'était de la faute de ces personnes tous ce qu'il y a de plus normales qui arpentent les rues en pleine journée sans le moindre danger, mais l'idée est la même, je suis toujours resté en retrait, merci la maladie. Oh non, je ne vais pas faire dans le tragique, je ne me plains généralement pas, mais seulement voilà, tout le monde a ses moments de faiblesses, les miens surgissent parfois sans trop prévenir. La Cause ? L'isolement, l'enfermement, ça en a rendu plus d'un complètement taré, je m'en sors plutôt bien. Je jette un œil à l'objet qui roule entre mes mains nerveuses depuis quelques longues minutes. La télécommande la chaîne hi-fi. Mon regard se tourne vers l'horloge murale devant moi, une heure et demie, puis un fin sourire en coin prend place sur mon visage alors que je presse le bouton pour démarrer la musique. Je ne me gêne pas pour augmenter généreusement le son. Les voisins ? Je lâche un soupire d'amusement à cette pensé. Les gens peuvent bien me prendre pour le pire des égoïstes, je le suis et je ne changerai pas ça pour le bon vouloir d'une petite poignée de personnes. Je veux dire, la vie est bien trop courte pour que je me soucis à ce point des autres. Bien sûr si certains veulent perdre leur temps à ce genre de contraintes inutiles c'est tout à leur honneur, mais disons que je laisse ça à ceux qui se le permettent, pour ma part je n'en vois pas l’intérêt. Qu'on me jette la pierre, je ne blâmerai pas la maladie, pourtant c'est bien elle qui me prive d'un cinquième de ma vie, de mon temps alors j'estime que l'égoïsme n'est pas trop demandé.

Une fois la musique lancée, je me lève, j’attrape un crayon et viens déposer la mine sur le mur qui se trouve devant moi avant de la faire lentement glisser contre cette grande surface lisse. Idéale pour un paysage. Nocturne ? Je l'ignore encore. Qui vivra verra comme on dit. Je me laisse guider, par ce je-ne-sais-quoi bien efficace, sans trop m’attarder à la réflexion. Je verrai bien où cela mène et si cela ne me convient pas ? Je me contenterai de repeindre encore une fois. Ce n'est pas comme si je n'y étais pas habitué maintenant. Mais alors que je suis lancé dans mon dessin, un bruit me sort de mes pensées, à peine audible à cause du volume de la musique pour commencer puis de plus en plus fort. Quelqu'un frappe à la porte, enfin … à sa manière puisque je dirai qu'il martèle la porte plutôt qu'autre chose. Sur le moment je me contente de sourire sans pour autant aller ouvrir. Après tout, si la personne est désirée elle saura qu'elle peut entrer, la porte est ouverte, dans le cas contraire … Je n'ai aucune raison de me presser, la faire poireauter un peu plus ou un peu moins ne changera pas grand chose, elle risque juste de partir. Je me relance donc dans mon travail deux ou trois minutes, bien décidé laisser attendre cet inconnu. Puis, je me dirige finalement vers la porte, télécommande à la main, je baisse un peu le son. Par politesse ? Non, plutôt pour entendre ce qui se dira.

Je pose ma main sur la poignée, avant de tirer la porte, pour découvrir l'identité de l'indésirable. A la vue de la blonde du dessus, je ne peux retenir un sourire un peu amusé, sourire qui pourrait probablement être pris pour une provocation, mais qu'importe. La jolie blonde qui me sert voisine du dessus, Avery. Aussi belle qu'agaçante malheureusement pour moi. La raison de sa présence est aussi limpide que de l'eau en bouteille, bien sûr. Cela dit, comme à mon habitude je tape à côté, volontairement cela va de soit.  Une mine sérieuse et désolée au visage, je prends la parole sur le même ton. « Encore ses insomnies ma belle ? Elles te rendent la vie dure hein ? T'as pensé à aller voir ton médecin, il aura peut-être une explication à cela. Ça arrive souvent quand même …  » Mon visage affiche une expression de compassion que je suis bien loin de ressentir, comme pour appuyer mes mots. Accompagnant mes paroles d'un geste du bras en direction du salon,  je reprends. « Je t'invite pas à rentrer. » et d'un sourire faussement amical je continu dans ma lancée. « Fais comme chez toi. »

Fuck. Je crois que j’ai encore perdu mes clés. Fuck. Fuck. Fuck. J’ai l’air bien con là, plantée devant ma porte à fouiller dans mon sac comme une tarée pour retrouver un stupide trousseau de clés que je savais pertinemment perdu. Et ce bordel dans mon sac n’améliorait en rien mon cas, en fait, j’avais juste envie de le balancer contre un mur, comme si en faisant ça j’allais soudainement me sentir mieux. Calme-toi Avery, calme-toi Avery. Oui ben c’est plus facile à dire qu’à faire bordel ! Je ferme les yeux et me cogne la tête contre la porte de mon appartement en grimaçant. Ca, voyez-vous, ça ne serait jamais arrivé si Ash vivait toujours avec moi et s’il n’avait pas pris la stupide décision d’aller vivre avec cette nana chelou aux cheveux multicolores. Parce que s’il avait toujours été là, il aurait été à l’intérieur pour m’ouvrir la porte et je n’aurais pas eu à me poser la question de savoir ce que j’allais bien pouvoir faire maintenant. Fuck. Fuck. Fuck. Je cogne la porte avec mon pied. Une fois, deux fois, trois fois. Je m’acharne dessus avant de réaliser que ce n’était pas ça qui allait résoudre mes problèmes. Alors je reprends mon sac, je fouille dedans et en sors ma boîte de médocs. Je l’ouvre et la retourne au dessus de la paume de ma main, mais rien n’en sort. Je la secoue plusieurs fois avant de constater qu’elle était vide. Et merde. La soirée s’annonçait bien. Je ferme les yeux et serre les dents, je balance la boîte vide à l’autre bout du couloir, dans ces moments là je perds toute notion de ce qui est bien et de ce qui ne l’est pas alors je peux vous assurer que de laisser traîner ma poubelle dans le hall de l’immeuble est bien la dernière de mes préoccupations. Du coup, je me résous à faire ce que je n’avais pas envie de faire et traverse le couloir jusqu’à me trouver en face de la porte de l’appartement d’Ash et de l’autre fille dont je n’ai pas pris la peine de mémoriser le nom. Je savais déjà qu’il n’était pas là, sinon il aurait rappliqué en m’entendant m’énerver comme une cinglée pour un rien. Mais ça ne m’empêche pas d’aller quand même sonner chez lui, on sait jamais des fois que l’idée de vouloir me laisser me débrouiller seule lui traverse l’esprit. Mais au bout de plusieurs minutes à sonner sans obtenir de réponse, je dois me rendre à l’évidence. Je vais devoir me démerder. Je soupire et sors mon téléphone tout en retournant vers la porte de mon appartement contre laquelle je me laisse glisser jusqu’à me retrouver assise par terre. Oh tiens, comme si je n’étais pas suffisamment emmerdée pour le reste de la nuit, mon téléphone m’indique que je n’ai plus de batterie et s’éteint sous mes yeux. Fuck. Je le balance dans mon sac et cogne la porte derrière moi avec l’arrière de mon crâne, fidèle à la freak que je suis. Et maintenant que je n’ai plus de plan, je remarque soudainement un détail qui m’avait échappé plus tôt. C’est quoi ce boucan ? Question rhétorique, je sais exactement d’où vient ce bordel. Ca vient du voisin d’en dessous qui depuis quelques temps s’inspire chieur de service à péter les tympans de tous les habitants de l’immeuble avec sa stupide musique. Dommage pour lui, je suis d’humeur massacrante ce soir, et je peux vous affirmer qu’il va m’entendre. Je me relève donc sans perdre un seul instant et traverse le couloir, mes talons cognant le sol, puis je dévale les escaliers avant de me retrouver pile poil devant la porte de l’appartement d’où provenait cette musique. Et là je laisse mes poings parler à ma place en cognant comme une tarée contre la porte pendant plusieurs minutes. Oh, pensait-il réellement que j’allais baisser les armes ? C’était décidément mal me connaitre. Alors je continue de cogner en criant quelques insultes jusqu’à ce que le son de la musique diminue et que la porte devant moi s’ouvre et laisse apparaitre ce voisin qui me tapait sur le système. « Fuck you ! » Ma plus jolie répartie suite à ce qu’il venait de me balancer. Oh, il faisait le malin en plus ? Et devant sa pseudo invitation – dont je n’étais pas certaine qu’il s’agisse d’une invitation – je le pousse et entre chez lui, comme si j’étais chez moi. « T’as compté le nombre de fois où je t’ai demandé de baisser le son ? » Bien évidemment que non. Je m’approche alors de sa chaîne hi-fi et me place à côté avant de me retourner vers lui. « Peut-être que je n’ai pas été suffisamment persuasive ? » Et là, je me rends compte que j’ai perdu le contrôle. Oh oh. Je vois ma propre main se poser sur l’appareil qui devait coûter une petite fortune et lentement, je la pousse, sans me rendre compte de ce que je fais jusqu’à ce qu’un bruit d’éclat interrompe la musique et que mon regard se pose sur la chaîne hi-fi démolie par terre. Oui, j’ai définitivement perdu le contrôle et au lieu de tenter de rattraper les choses, je m’entends balancer d’un air faussement désolé – d’un air qui se fout clairement de la gueule du locataire en fait – «  Oups. » Et un sourire se dessine sur mon visage.

« Fuck you ! » A défaut d'être étonné de la répartie de ma chère voisine, j’étouffe un léger rire. Ce n'est pas vraiment le moment pour rire Nolan, elle n'est pas particulièrement ouverte à ça. En réaction à mon invitation, la blonde ne tarde pas à me dégager du chemin qui la sépare du salon, sans la moindre délicatesse. Le choc n'est pas bien violent, mais la faiblesse de mon système nerveux des deniers jours me jouant des tours, je peine à garder mon équilibre et me rattrape rapidement avec le mur d'à côté, je ne le laisse pas transparaître cela dit, alors que la voisine ouvre à nouveau sa bouche. « T’as compté le nombre de fois où je t’ai demandé de baisser le son ? » pour seule réponse je lui adresse un sourire faussement innocent, alors qu'elle s'approche dangereusement de la source de conflit, la chaîne Hi-Fi. Elle se retourne vers moi avant de lâcher un « Peut-être que je n’ai pas été suffisamment persuasive ? » sur un ton tout sauf rassurant, bien que je ne m'attende pas à grand chose. Sa main se pose sur l'objet. Une grimace un peu agacé traverse mon visage l'espace de quelques instants, avant qu'Avery ne pousse l'appareil, qui se précipite dans le vide avant de simplement s'exploser sur le sol. Irrécupérable. Aucun doute. Ok … Cette fille est complètement névrosée. Excessive est peut-être un mot qui convient mieux. Enfin … pour résumer elle est complètement folle. Légèrement sous le choc face à cet acte un peu insensé, je ne peux retenir un regard de stupéfaction. Les yeux ronds comme des soucoupes. Ceci dit je me reprends aussitôt et lui adresse finalement un simple haussement de sourcil, interrogateur et trahissant tout de même une pointe d'incompréhension. Sur le ton du foutage de gueule Avery se contente d'un petit «  Oups. » accompagnant ce mot par un sourire. Je jette un œil à la télécommande que je tiens toujours en main, puis après un vague haussement d'épaule je la jette sur le sofa. Elle me servira plus à grand chose maintenant.  

Sans rien dire je lui tourne le dos et me dirige simplement vers la cuisine dans le plus grand silence, laissant la blonde rager dans son coin un instant. A vrai dire je ne sais pas si je dois m'énerver, ou laisser place à ce rire qui me ronge depuis que la chaîne s'est explosée. Insensé ? Ouais probablement. Les nerfs ? Sûrement. Mais je n'ai étrangement aucune envie de péter un plomb pour une chaîne Hi-Fi. Je veux dire, ce n'est pas à la porté de tout le monde, mais j'ai les moyens d'en acheter une nouvelle sans que cela ne pose le moindre problème, donc j'imagine que ça explique cette réaction étrange de ma part. Je tends le bras pour attraper une bouteille d'eau posée sur un meuble. Mes doigts se resserrent sur le vide, m'arrachant un soupire, je recommence une nouvelle fois, me concentrant un peu plus sur le mouvement, puis une fois la bouteille en mains je fais signe à la blonde de se taire, alors qu'elle entre dans mon champ de vision. C'est qu'elle lâche pas l'affaire. Elle a déjà explosé ma musique, elle peut pas faire grand chose de plus. Puis avec la plus grande précaution je remplis deux verres, repose la bouteille et me retourne enfin vers ma voisine. « Hé la névrosée, t'en veux un ? » Après un court instant je reprends comme pour me corriger. « Ou … Autre chose si tu préfère. Y a de la bière dans le frigo il me semble … Et peut-être du soda aussi, je sais plus. » Je m'avance à nouveau vers elle et le salon. Je lance un regard vers l'appareil explosé sur le sol, me retourne vers Avery, « Ça fait du bien ? ». Je bois une longue gorgée d'eau avant de reprendre, accompagnant mes paroles d'un sourire un peu moqueur. « Non parce que … profites-en. J'en aurais une nouvelle d'ici demain ou après demain soir. ». Provocation ? Sans doutes un peu, mais pour être honnête, la solitude parfois apportée par la nuit est plus que pesante et la musique m'aide à passer ça, alors il est simplement hors de question que je m'en prive pour faire plaisir à la miss. Oui, bon je ne suis pas obligé de mettre le son si fort, c'est vrai, mais quand on vit le jour on ne se prive pas, alors pourquoi le ferais-je ?

Ok. Je venais – sans raison apparente – d’exploser la chaîne hi-fi de mon voisin par terre et je m’attendais sincèrement à ce que ce dernier pète un câble. Quelle fut donc ma surprise en constatant qu’il se contenta simplement de lever un sourcil avant de balancer la télécommande – désormais inutile – sur le canapé et de me tourner le dos après avoir haussé les épaules. Moi dans tout ça, j’ai l’air plus maline que jamais en restant sur place, affichant des yeux ronds face à sa réaction pour le moins surprenante. Ok Avery, c’est pas parce que tu es constamment sur les nerfs que tu dois tout faire pour enrager le monde entier, non ? Mais quand même ! Sa réaction était tout simplement inhumaine. Certes, j’ai tendance à réagir de façon excessive – je souligne d’ailleurs que je ne le fais pas exprès – mais lui, plus passif tu meurs. Bref, je laisse tomber mon sac à mes pieds et croise les bras tout en me mordillant nerveusement les lèvres. Focalisons nous sur le bon côté des choses : fini le tapage nocturne ! Mais quand même, j’avais cette horrible impression de ne pas contrôler la situation – en plus de mes pulsions – et autant vous dire que cette idée ne me plaisait guère. Je me surprenais même à regretter qu’il ne se soit pas énervé bien que logiquement, je devais m’estimer heureuse qu’il ne semble pas être attaché à son appareil parce que franchement, j’étais bien loin d’avoir les moyens de le rembourser. Il me restait d’ailleurs très exactement $ 42.38 pour finir le mois. Bref, je suis bien dans la merde.

Alors que je ruminais dans mon coin comme une gamine qui n’a pas obtenu ce qu’elle voulait, Blackwood refait surface dans la pièce et tandis que je m’apprêtais à repartir au quart de tour, ce dernier me fait signe de me taire, d’un air exaspéré que je trouve plutôt vexant. « Hé la névrosée, t'en veux un ? » J’aurais pu lui lever mon doigt du milieu devant sa face rien qu’en entendant le mot névrosée mais le silence qui suivit me laissa penser qu’il allait se rattraper. Raté. « Ou … Autre chose si tu préfère. Y a de la bière dans le frigo il me semble … Et peut-être du soda aussi, je sais plus. » Je décide de laisser tomber. On va dire que j’ai fait suffisamment de dégâts en explosant sa chaîne pour m’enfoncer davantage. Je réfléchis un  court instant. Bière = alcool = mauvaise idée. Soda = des quantités exorbitantes de sucres = mauvaise idée. Ne tentons pas le diable, pas vrai ? « Je vais me contenter du verre d’eau. » Et voilà que je commence à prendre mes aises chez lui, comme si je n’avais absolument rien fait de mal. Au pire, je m’en fous, j’ai un peu l’habitude des situations bizarres. Je prends le verre d’eau et ne peut m’empêcher de sourire à sa remarque. « Je préfère taper sur les gens, c’est plus défoulant. » Pourquoi avoir dit ça ? Je n’en ai absolument aucune idée. Et voilà qu’il va me prendre pour une espèce de psychopathe qui tabasse les enfants dans la rue. GG. « Je m’en fous que t’en ais une nouvelle, t’es juste pas obligé de faire chier tout l’immeuble avec ta musique. Je sais pas, pense aux autres un peu. » Je bois une gorgée avant de retirer ma veste et de me jeter lourdement sur le canapé. Bon, peut-être que je n’avais pas spécialement envie de passer la nuit devant ma porte alors squatter ici un peu n’allait pas me faire de mal. Etait-il d’accord ? Bizarrement je ne me préoccupais pas de son avis. J’étais comme ça, aussi imposante qu’un hippopotame. « Dis, t’aurais un chargeur pour ça ? » Je lui montre mon téléphone dont la batterie était vide tandis qu’il reprenait une nouvelle gorgée d’eau. Je n’avais pas fait attention tout à l’heure, mais maintenant je remarquais qu’il y avait quelque chose de bizarre ici. « Pourquoi tu bois de l’eau ? » Certes, ça pouvait paraître un peu stupide comme question mais je maintenais qu’il cachait quelque chose. Et comme en réponse à mes propres interrogations, mon regard alla se poser sur sa fenêtre qui étrangement était différente de la mienne. Et pour avoir déjà vu celles de l’appartement d’Ash, je savais que tout l’immeuble était censé avoir les mêmes. « Qu’est-ce qu’elles ont tes fenêtres ? » Autant dire qu’à cet instant je le plaignais beaucoup parce que je savais très bien à quel point je savais me montrer chiante. Sorry.