Somewhere in Neverland

J'ai passé la matinée dans ce groupe de soutien, il me faut de l'air, de l'espace, il faut que je sorte d'ici. Je fais un tour rapide dans ma chambre pour prendre un carnet et un stylo que je fou dans la poche arrière de mon jeans. Je mate ma gueule dans le miroir, ça va, j'ai pas pleuré de toute façon, je me retiens toujours aux séances de groupe. Pas vraiment envie de m'afficher. Je sors dans le patio, je prends l'air, je m'allonge sur un banc, ça fait du bien. Je ferme les yeux, j'espère que personne ne va venir me déranger. Je recharge mes batteries d'air frais, de calme. Des fois dans les couloirs c'est horrible ce qu'on peut entendre. Ca me perturbe grave mais je peux rien y faire, je suis dans l'Aile Nord, le côté pour les fous comme on dit. Les gens qui ont des soucis dans leur tête. Je pense que y'a rien de pire que d'être prisonnier de son esprit. On va très bien physiquement, mais on ne peut quand même pas vivre à notre guise, on est bloqué par la peur, l'appréhension et ça nous bouffe ce genre de trucs. Je dis « nous » mais je parle pour moi surtout. Je connais pas les dossiers des autres et je préfère les ignorer. Quand je pense qu'il y a des meurtriers dans le lot ça me fait trop flipper.

Je reste là encore quelques minutes, je sais pas combien de temps je suis resté en tout mais je me sens reposé, calme, bien. Ca fait longtemps que je ne m'étais pas senti ainsi. Je décide de bouger du Patio quand je vois un groupe de gens y entrer. Heureusement que ma petite séance de méditation en solo est terminée, j'aurai été dégoûter d'être dérangé.

Je repasse par l'accueil de la clinique, je demande à la personne derrière le comptoir si j'ai pas reçu des messages d'amis ou de la famille. Elle me répond par la négative. J'attends un message de mon ex, tous les jours je passe demander, et tous les jours c'est la même déception. Je devrais me faire à l'idée mais j'arrive pas. J'ai toujours cet espoir qu'elle essayera de me contacter un jour. Qu'elle me dise qu'elle regrette sa décision et que tout va aller mieux. Je n'ai besoin que d'elle. Je le sais. Elle seule pourrait tout changer.

Je file par un autre couloir que celui de d'habitude, je me fonds dans la masse des visiteurs. Je sais pas trop où je vais mais je m'en fou. Je crois que j'ai juste besoin d'être n'importe où sauf dans l'Aile Nord. Je croise des gens, j'évite de les regarder, surtout si c'est des gens du personnel de la clinique. J'ai pas envie de me faire raccompagner dans mon secteur. Je sais pas si je vais retrouver mon chemin pour le retour. Je passe tellement de couloirs différents, je crois que je me suis carrément perdu en fait. J'arrive du côté du service pédiatrie, je savais même pas qu'il y avait un service pédiatrie dans cette clinique. Je me retrouve dans cette salle super cliché qu'on voit dans tous les films : la vitrine des nouveaux nés. Je suis pas fan de gosses mais je reste quand même planté là un moment à les regarder. Je pars dans mes pensées. J'aimerai bien redevenir un gosse. Le temps où on avait aucun soucis à se faire.

Somewhere in Neverland

Je me perds carrément dans mes pensées tout en regardant ces nourrissons. Je me dis qu'avec Michelle j'aurai voulu des enfants, je lui aurai donné tout ce dont elle rêvait, c'était prévu. J'avais tellement envie de construire quelque chose avec elle, me marier, des enfants, tout. Mais c'était très loin à présent, trop loin. Je devrais arrêter de penser à ça avant de commencer à broyer du noir. J'ai réussi à me calmer, ce serait trop dommage que je retourne à la case départ pour aujourd'hui. Je soupire doucement, je ferme les yeux un instant, histoire de me remettre les idées en place. Il faut que j'arrête de penser à Michelle, je le sais, mais c'est juste impossible. Je suis rien sans elle.

Quelqu'un non loin de moi s'excuse, je n'y prête pas attention, jusqu'à ce que j'entende mon nom complet, ainsi que le nom de mon groupe. Je tourne la tête vers cette personne et il s'agit d'une infirmière vue la tenue qu'elle porte. Je ne sais pas trop quoi répondre à part la vérité. Elle fait partie du personnel de la clinique, elle devait être quelqu'un de confiance. J'ai quand même du mal à parler avec les gens que je ne connais pas. Je ne la regarde pas dans les yeux directement.

« C'est moi... »

Je ne sais pas trop quoi dire, est-ce qu'elle sait que je suis un patient de l'Aile psychiatrique ? On est bien loin de l'Aile Nord par ici, elle ne doit pas être au courant de tous les internés. Mais comment me connait-elle si ce n'est pas mon dossier médicale ? Est-ce que ce serait réellement grâce à ma musique ? Je n'aurai pas cru que je croiserai des gens qui me reconnaîtraient ici. Je ne sais pas si je dois trouver ça comme un avantage ou un inconvénient. Revenir en Australie c'était avant tout pour que je redevienne un anonyme, quelqu'un comme tout le monde.

« Je me suis perdu dans les couloirs... »

Pourquoi je me justifie ? Parce qu'elle doit savoir que je suis un patient et que je n'ai rien à faire ici. Oui elle doit le savoir, tout le monde sait que je suis ici, tout le monde doit être en train de me chercher en ce moment. « Où se trouve Morgan Montgomery, il faut l'attacher et l'empêcher de sortir ». Je m'imagine des choses, je me monte la tête tout seul, je suis complètement parano, je sais. J'espère juste au fond de moi que je ne suis pas considéré comme quelqu'un de dangereux pour autrui. Je ne veux pas être enfermé contre ma guise, j'aime la liberté de mouvement que j'ai pour l'instant dans cette clinique.

Somewhere in Neverland

Elle me reconnaît, elle me connaît, elle aime ma musique. Elle est même fan. Je n'aurai pas cru qu'il y aurait des infirmières qui écouteraient ce genre de musique. Je sais je porte des jugements hâtifs mais franchement je pensais pas que notre musique était arrivé jusqu'ici. Elle doit être une des rares personne à nous connaître dans le coin. Enfin, je l'espère en tout cas. Si je suis venu ici c'est avant tout pour garder un anonymat. J'ai de la chance jusqu'à maintenant je n'ai pas eu de visite de journaliste, ou peut être que la sécurité de la clinique est vraiment bonne. Je ne sais pas, mais je suis bien soulagé de ne pas avoir ce genre de pression supplémentaire. Je regarde l'infirmière sans vraiment savoir quoi répondre. Peut être voulait elle un autographe ? Ce ne serait pas très pro de sa part, mais après tout je comprendrais. Heureusement pour moi, ce n'est pas une hystérique comme j'ai pu en rencontrer. Elle a l'air surprise de me voir, mais elle garde son calme et continue d'agir comme une personne normale. Ce genre de fan là c'est ceux que je préfère. Comme je ne réponds rien elle enchaîne me demandant si j'ai besoin d'aide pour retourner dans l'aile Nord.

« Oh non merci.... J'avais envie de voir un peu le reste de la clinique... Je fais que me balader... Je vais rien déranger. Promis. »

Je suis dans les fichiers des patients non dangereux qui ont droit à des privilèges, comme aller au patio par exemple. Je n'ai pas envie que cette petite aventure dans cette aile m'enlève quelconque avantage.

« Vous êtes vraiment fan ? »

Je reviens sur le sujet pour éloigner le sujet de ma personne qui ne se trouve pas dans la bonne aile de la clinique.

« Je pensais pas qu'on était connu ici... »

Autant prendre des infos sur comment elle nous connaît. Ça fait quand même plaisir au fond. Je prends soin de ne pas la regarder dans les yeux, c'est trop difficile pour moi, bien qu'elle soit très jolie. Qu'elle soit fan m'aide à discuter un tant soit peu avec elle. C'est un peu comme si elle était de mon côté, de mon monde, mon univers. C'est sûrement pour ça que je passe naturellement au tutoiement.

« Tu nous as déjà vu en live ? »

Si c'est le cas elle aurait eu à voyager en dehors de l'Australie car nous n'avons jamais fait de concerts ici, et là, je saurai qu'elle est réellement une très grande fan. J'espère juste qu'elle ne va pas commencer à répendre l'information sur internet.